J’ai toujours aimé l’incongru, l’improbable, le paradoxe. J’ai découvert récemment que j’aimais aussi le congru - en fait je ne savais pas ce que c’était exactement ; vous souvenez-vous vraiment que deux nombres sont congrus quand leur différence est divisible par un troisième ? – Ce que je préfère dans la congruence, c’est plutôt le lien en général, le fait que les choses soient forcément liées, comme dirait Pascal. D’où cette idée de prendre quelques notes au fil de l’eau sur tout ce qui pouvait me sembler converger de ces deux mots. La vérité est là, quelque part.
Ma fille de 17 ans lit Hamlet allongée sur l'herbe en se bronzant les fesses : « Il est chiant ! C'est quoi son problème à ce mec ? Sexe et meurtre ? » Quelque chose comme ça, me dis-je, rien que du banal. ....
J'écoute le Cantique de Jean Racine sur mon baladeur assis dans les toilettes d'un avion. Plongé dans une double extase (la musicale et l’autre), je n'entends pas le message d'alerte de turbulences: en sortant, surpris par un trou d'air, je manque de me casser la figure sur l'Agnus Dei…
Le chat rode de toute sa longueur aplatie sous l'ampélopsis bruyant. Les piafs l'attaquent avec des piaillements effrayants et des rase-mottes de kamikaze. Le félin s'en va trottant d'un air digne. Un chat trotte rarement; il lui faut une bonne raison pour adopter cette allure; en l'occurrence, quitter le champ de bataille assez vite mais sans avoir l'air de s'enfuir. Les oiseaux chanteront longtemps leur victoire…
Dix ans de différence entre mes deux filles: quand elles sourient de toute leur bouche, le visage illuminé, les yeux clairs, elles ont le même âge. Le bonheur n'a pas de ride…
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Congruences guadeloupéennes
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Ma fille de 16 ans essaie de m'attraper au lasso (fabriqué avec les lianes de la forêt) pendant que je rêve sur un rocher de la rivière. Tout le monde rit. Je ne m'aperçois de rien, je médite sur le torrent qui coule, si fluide et énergique, quand moi, fatigué, je viens de patauger lourdement dans le sentier boueux qui longe le cours d'eau…
Elle décide de descendre un fauteuil en plastique dans la piscine. Elle s'assied dessus toute fière. Elle trône, sirène souriante. Je veux l'imiter, je me noie, évidemment. La sirène et l'éléphant…
Elle invente le yam's sous-marin, nouveau jeu de piscine: avec sa sœur, elles se mettent un masque de plongée et jouent aux dés au fond de l'eau ; il ÿ en a même une qui fait un yam's (de six): peut-être le premier yam's sous- marin de l'histoire! …
Les filles se font un bain de boue sur la plage de Babin, à Vieux-Bourg (Basse-Terre, Guadeloupe), surtout fréquentée par les locaux. Body masque total, étalé avec application, glaise grise et odeur d'oeuf pourri garanti. Un peu plus loin, une belle femme obèse immobile attend de sécher, assise sur le ponton de bois branlant, bouddha créole souriant. Noir ou blanc, recouvert de boue, on n'est pas très différent…
Ballade en bateau dans la mangrove, au départ de Vieux-Bourg, avec Serge, un guide sympa à moitié bègue, qui explique très bien d'ailleurs et qui s'excuse souvent en répétant : « Je schématise... » Véritable jungle, entre terre et mer, royaume des crabes et du yinyin: ce moucheron qui vous fait se gratter partout mais qui ne pique pas, d'où son nom en créole, qui veut dire : "y'a rien ". La mangrove, ni terre, ni mer mais les deux à la fois. Elle parait immuable, accrochée à la vase par ses racines aériennes mais elle fut emportée comme fétu de paille par le cyclone Hugo (1989)…
Des milliers de palétuviers disponibles, secrets, cachés dans les labyrinthes de la mangrove mais, on ne sait pourquoi, les frégates, les aigrettes neigeuses et les hérons pique boeuf ont tous élus domicile sur trois vieux arbres isolés, plantés en plein milieu de la lagune, visibles des miles à la ronde. Le côté exhibitionniste des oiseaux de mer sans doute. Et ils se bagarrent des heures durant les maigres perchoirs branlants comme si c'était l'Eldorado…
J'ai réussi à faire griller de délicieuses cotes d'agneau (« Ici, que de la viande locale », se vante le boucher) sur le barbecue rouillé entre deux ondées. Enfin, ce qu'ils appellent ondées, ici, en Guadeloupe, c'est-à-dire quelque chose ä mi chemin entre le déluge et le cyclone. Pas besoin de réseaux de récupération d'eaux de pluie le long de la cote: tout part à la mer, en de violents torrents éphémères. Les feuilles de cocotiers dansent pendant la bourrasque et les grenouilles, cigales caraïbes, se taisent à peine. Les nombreux chiens errants se planquent d'abord sous les bagnoles puis, si cela devient trop humide, ils entrent sans vergogne dans les boutiques où les commerçants font mine de les ignorer. En fait, ils les nourrissent en douce le soir, quand les touristes sont partis, chassés par la nuit tropicale qui tombe toujours d'un coup, comme si elle était pressée d'en finir avec la lumière si forte et le soleil brûlant …
Aquarium de Pointe à Pitre : ne surtout pas manquer l’explication pour le crabe de terre : « 0n le rencontre vivant en vente au bord des routes ou cuisiné dans des restaurants sous l'appellation "crabe farci". »
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Les rêves évidemment, règne des évidences incontrôlables, impalpables. Cette nuit, nouveau scénario: dans la grande maison familiale, mon cousin le grand avocat d'affaires vient rendre visite à mon père vieillissant et malade. Tout cela est vrai ou vraisemblable. Mon cousin aime beaucoup mon père et s'occupe souvent de lui. Mais, cette fois, l'avocat s'est transformé en coiffeur à domicile et il se met à couper les cheveux de mon père à grands coups d'effets de manche, non, de ciseaux. Je contemple la scène, dans cette position bizarre, schizophrénique qu'on a souvent dans les rêves, à la fois spectateur et acteur et je me dis le plus tranquillement du monde: tiens cela ne m'étonne pas qu'il soit aussi coiffeur. Je me demande même laquelle de ses deux activités il préfère réellement. Au réveil, je cherche et je trouve le rapport entre ces deux métiers : dans les deux cas, on coupe les cheveux en quatre! Il faudra que je raconte tout cela à mon cousin...
A l’atterrissage, le message traditionnel : « Veuillez désarmer les toboggans et vérifier vos vis-à-vis »… Je ne sais pas pourquoi, je m’imagine les hôtesses et stewards le revolver à la main se contemplant longuement l’air méchant, avant de finalement déposer les armes...
--source: www.unpoemeparjour.com--